L’Isle-Adam, le 12 mai 2001

Intervention devant deux classes de philosophie du lycée Fragonard

 

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Sylvia Commandeur, psychanalyste

Pour introduire le thème retenu aujourd’hui, je dirai tout d’abord que, si la parole a un pouvoir thérapeutique, si elle est la base de la relation entre le psychanalyste et son patient, elle a aussi le pouvoir de faire des ravages, notamment de déterminer un symptôme. D’une manière générale, un symptôme en psychanalyse ne désigne pas un dysfonctionnement organique, comme en médecine : il revêt une dimension psychique que Freud a d’abord précisée comme étant de l’ordre du conflit : le sujet serait en désaccord avec lui-même. Voilà la première caractéristique freudienne du symptôme : il relève d’un conflit interne, intrasubjectif et non intersubjectif. La seconde caractéristique est que le symptôme procure une satisfaction inconsciente, c’est-à-dire inconnue du sujet lui-même. Lacan a pour sa part donné le nom de jouissance à cette satisfaction.

Les symptômes se présentent sous une forme extrêmement variée, qui va des phobies multiples aux pensées obsédantes, voire à des questions lancinantes que le sujet se pose à lui-même, ou encore à des impossibilités diverses dans tous les domaines de la vie quotidienne. C’est la face apparente du symptôme : quelque chose ne va pas, d’où les termes de névrose, d’élément phobique, obsessionnel, etc. Au-delà de cette apparence de la névrose, selon Freud, la face cachée du symptôme, c’est l’inconscient : autrement dit, le symptôme est une formation de l’inconscient. Cela veut dire tout simplement qu’il est déterminé par un ou plusieurs mécanismes inconnus du sujet.

Ce concept d’inconscient n’est pas si facile à saisir. Il ne renvoie pas uniquement à ce que l’on ignore ; il ne désigne pas, contrairement à une idée largement répandue, quelque chose qui serait enfoui dans les profondeurs du psychisme. Paradoxalement, c’est aussi ce que l’on sait ; on le sait sans savoir qu’on le sait, si bien qu’il s’agit là d’un savoir insu.

Le mécanisme qui rend inconscient ce qui était conscient au départ est le refoulement et ce qui devenu inconscient s’appelle le refoulé. Freud accorde une valeur primordiale au refoulé, celle d’être une vérité, la vérité du désir du sujet. Quant à Lacan, il souligne que ce qui est refoulé, c’est toujours quelque chose qui  » se formule dans un langage « , c’est toujours du signifiant, terme que Lacan emprunte à la linguistique. En bref, le signifiant, c’est la matérialité du mot, c’est-à-dire le son, on dit aussi l' » image acoustique « . À chaque image acoustique, correspond un signifié, c’est-à-dire un concept ou encore un sens. L’ensemble signifiant et signifié forme le signe. Or, l’important n’est pas la relation entre le signifiant et le signifié, mais la relation des signifiants entre eux. En effet, entre les signifiants, il existe deux types rapports : des rapports de similarité (le mot  » bonnet  » est ainsi en rapport de similarité avec les mots  » toque « ,  » chapeau « ,  » casquette « , etc.) ; et des rapports de contiguïté (le mot  » jupe  » est en juxtaposition avec  » robe « ,  » pantalon « ,  » veste  » etc.). Or, l’inconscient fonctionne exactement de cette manière : avec les lois du langage, que Freud appelle la condensation et le déplacement.

La condensation signifie que plusieurs idées ou images sont représentées par une seule, à la faveur d’une caractéristique commune. Elle implique un rapport de similarité. Le déplacement consiste dans le fait qu’une idée ou une image est représentée par une autre ayant un point commun avec la première. Il s’agit là d’un rapport de contiguïté. Condensation et déplacement sont donc les deux mécanismes que l’inconscient utilise pour masquer à la conscience une représentation ; entendons par là une image, une pensée, un fantasme. Le fonctionnement de l’inconscient est alors bien une affaire de linguistique, et à tel point d’ailleurs que Lacan reconnaît dans la condensation, la métaphore et dans le déplacement, la métonymie. De ces deux figures de style, la métaphore est en effet basée sur une similarité des termes qui permet un transfert de sens d’un terme à l’autre ; l’autre, la métonymie, sur une connexion du sens entre différents termes. Quand quelqu’un dit :  » La nuit dernière, j’ai rêvé à une fleur « , le sens du rêve n’est pas donné par le rapport entre le signifiant fleur et son signifié, qui peut être représenté par, disons, une tulipe. Le mot  » fleur  » peut très bien être une métaphore utilisée pour désigner une jeune fille par exemple, ou renvoyer de façon métonymique à un pot de fleur et ce pot de fleur peut à son tour renvoyer de façon métaphorique à l’ennui, conformément à l’expression  » faire le pot de fleur « …

Finalement, en raison de ces mécanismes (métaphore et métonymie ou condensation et déplacement), le sens du rêve peut être très éloigné de son contenu apparent. C’est pourquoi Freud considère le rêve comme un rébus : il existe des jeux signifiants ou des jeux de mots qui masquent, et en même temps qui reflètent, ce qui est refoulé dans l’inconscient, parce qu’il est aussi de la nature du refoulé de réapparaître dans le symbolique, soit sous la forme du rêve, du symptôme, de l’acte manqué.

En somme, ce que le sujet refoule, c’est de la parole et il est donc cohérent que ce soit par le moyen de la parole que la cure analytique procède pour retrouver les mots qui manquent. Le psychanalyste, selon Lacan, est plus linguiste qu’explorateur de continents inconnus.

Les rêves, les lapsus, les actes manqués, au même titre que les symptômes, sont des formations de l’inconscient parce qu’ils sont constitués de mots ; en termes lacaniens, on dirait qu’ils sont  » fabriqués de signifiants  » dont on ne connaît pas de prime abord le sens. Pour autant, ils ont une logique, la logique de l’inconscient, qui fonctionne à l’insu du sujet.

On peut aussi se représenter ces formations de l’inconscient comme l’ensemble des maillons d’une chaîne que Lacan nomme la chaîne signifiante et où certains maillons seraient manquants. Au cours de la cure, cette chaîne est déroulée par le biais de la parole, ce qui procure l’occasion de retrouver les maillons manquants ou plutôt, de les remettre à leur place, ce qui permet l’apparition du sens. Ce qui s’observe aisément dans le rêve est vrai aussi pour le symptôme. Le sens n’est pas immédiat, mais retrouvé quand le sujet en parle au cours de la cure psychanalytique : la parole reconstruit la chaîne signifiante interrompue ou tronquée que représente toute formation de l’inconscient.

C’est donc parce que  » le langage est la condition de l’inconscient  » (définition lacanienne) que la cure analytique n’utilise que les moyens du langage, même si le sujet se sent mal dans son corps et présente ce qu’on appelle globalement des symptômes psycho-somatiques. La cure analytique ne touche au corps qu’avec des mots. Si les mots ont une efficacité sur le corps, c’est parce que celui-ci n’est pas qu’une machine dont les rouages parfois se dérèglent, mais qu’il est habité par les mots. Si l’on dit :  » Arrête ! ce que tu racontes me fait mal au ventre (ou me donne des frissons…) « , c’est bien que les mots ont un effet sur le corps.

Quand un patient s’adresse à un psychanalyste, il lui suppose un savoir théorique qui vaudrait pour tout un chacun. Il considère que le savoir est dans l’Autre. J’ouvre ici une parenthèse pour expliquer qu’on écrit ce mot avec une majuscule pour souligner le registre symbolique auquel il appartient et le différencier du  » petit autre « , qui s’écrit avec une minuscule et désigne le semblable – un frère, une sœur, une amie, etc. Le registre du semblable est celui de l’image, car l’autre nous renvoie une image de nous même ; l’autre avec une minuscule, c’est donc l’image du moi, on est là dans le registre de l’imaginaire. La position physique du psychanalyste pendant la cure, assis derrière le patient allongé sur un divan, vise à réduire la dimension imaginaire que le face à face entretient. Sur le divan, le patient, ou sujet analysant, n’a plus l’image de l’autre en face de lui. Le psychanalyste est par là élevé à la fonction de pure adresse ; se situant dans un registre symbolique, il est avant tout le lieu où les signifiants sont reçus. D’où sa posture le plus souvent d’écoute silencieuse, car le psychanalyste ne rajoute pas les signifiants du conseil, de la suggestion, de la compassion.

Le sujet qui s’adresse au psychanalyste suppose donc un savoir dans l’Autre qui pourrait lui venir en aide, tandis que lui-même se considère comme ignorant, comme impuissant face à son mal-être. Certains analystes considèrent que ce sont des êtres faibles, plus faibles que la moyenne générale, et qu’ils ne savent pas faire preuve d’autonomie (ils vont jusqu’à employer des expressions comme  » moi fort  » et  » moi faible « ), ce qui les conduit à penser que la cure analytique consiste à renforcer le moi du sujet, à le rendre plus fort. Ce n’est pas la position de Lacan, ni la mienne. Que le sujet se veuille  » plus fort  » à l’origine de sa demande d’analyse, cela se conçoit, mais l’analyste doit en fait y répondre par un pas de côté. Vouloir être fort est un fantasme de toute-puissance dont le sujet se berce pour oublier ce qui ne va pas ; en somme, c’est une résistance qui sert de barrage à la mise à jour de la vérité de l’inconscient. C’est pourquoi le psychanalyste ne répond pas à une telle demande du patient : il l’entend mais en même temps il l’ajourne, non pas pour y répondre plus tard mais dans l’intention que le sujet s’aperçoive qu’il existe un au-delà de sa demande et que cet au-delà, c’est le désir. En définitive, l’analyste dont l’objectif serait de rendre son patient plus fort considère qu’un être humain peut se passer de l’Autre. À mon sens, c’est impensable, voire insensé ; pour faire appel à une comparaison, c’est comme si, puisqu’on utilise dans le langage courant l’expression  » maladie d’amour « , ne plus aimer personne était le signe d’une bonne santé psychique ! Il est vrai que savoir et pouvoir se débrouiller sans l’Autre, sans le psychanalyste, représente pour beaucoup un idéal qui pousse d’ailleurs à percevoir négativement la démarche de celui qui s’engage dans une analyse. Je ne soutiens pas l’idée selon laquelle tout le monde devrait faire une analyse, bien au contraire. Mais si certains souhaitent effectuer cette démarche, c’est parce qu’ils sont en souffrance et que la question se pose pour eux de savoir s’ils doivent ou non faire sans l’Autre. Le psychanalyste répond donc à sa façon à cette demande pour deux raisons majeures.

D’une part, parce que l’être humain, en tant qu’être de langage, doit trouver des interlocuteurs pour pouvoir parler. Ce n’est pas par hasard si, de celui qui parle tout seul, on pense qu’il est fou ! En effet, structuralement, en raison du langage qui nous habite, l’Autre est là. Lorsqu’on parle, c’est toujours à quelqu’un. Il serait par conséquent insensé de vouloir s’en débarrasser ! Le sujet qui par excellence vit sans l’Autre, c’est l’autiste : quelqu’un replié dans son univers, qui ne demande rien à personne et qui, d’une certaine manière, se suffit à lui-même. Le travail thérapeutique, qui peut prendre des années, consiste à réintroduire de l’Autre dans l’univers du sujet.

D’autre part, parce que le sujet souffrant est toujours malade du langage ; s’il n’était pas habité par le langage, il ne ferait pas de névrose. L’une des premières découvertes de Freud a été que la névrose est une  » maladie  » qui parle, et qui parle même de sexualité. Dans la cure, la parole tente d’une certaine manière de reprendre ses droits. Les mots vont se substituer aux symptômes qui sont en quelque sorte des paroles inadéquates. Parler au psychanalyste, ce n’est pas se confesser, c’est faire exister l’Autre.

Il y a aussi des sujets qui, en raison de leur histoire personnelle, ont perdu confiance en leurs semblables et qui n’entendent pas les interdits (le vol, la violence, etc.). Il peut alors y avoir perte de confiance en l’Autre, voire absence  » totale  » de  » croyance  » en l’Autre. La parole de l’Autre n’a plus de valeur et, à leur manière, ceux-là se passent aussi de l’Autre. Mais que l’on se passe de l’Autre depuis toujours, comme le sujet autiste, ou pour prouver que l’on a du caractère ou encore pour exprimer de la colère, dans tous les cas, c’est toujours le signe d’un repli sur soi-même. Alors, est-ce qu’il n’est pas incongru d’évoquer la notion de  » moi fort  » dans ces conditions ?

Pourtant, c’est bien souvent au nom d’un idéal d’indépendance que certains sujets s’accrochent à leur symptôme et y trouvent une jouissance. Le terme de jouissance renvoie ici, je le précise, à une satisfaction éprouvée par le biais de quelque chose de désagréable. Quand il y a jouissance, ces deux aspects que sont le plaisir et le déplaisir sont présents en même temps.

Pour Freud, en effet, le sujet n’obéit pas seulement au principe de plaisir. En règle générale, d’ailleurs, ce principe est couplé avec le principe de réalité auquel il s’oppose. Cela signifie tout simplement que l’activité psychique tend à éviter le déplaisir, déplaisir qui serait procuré par une trop grande quantité d’excitation (il faut prendre ici le terme d’excitation au sens large de stimulation ; la peur, par exemple, est un état d’excitation). Schématiquement, la réalité ne permet pas toujours au plaisir de prévaloir mais, en définitive, le principe de réalité ne constitue qu’une voie détournée pour accéder au principe de plaisir. Dans ce couplage principe de plaisir/ principe de réalité, c’est bien le principe de plaisir qui représente l’essentiel.

Or, Freud découvre un au-delà du principe de plaisir/principe de réalité, qui est la jouissance. La jouissance procurée par le symptôme n’est pas consciente, ce qui signifie qu’en dépit du déplaisir apporté par le symptôme, quelque chose – que la cure analytique va tenter de cerner – est satisfait. Cette notion de jouissance, que l’on retrouve principalement chez Lacan, est présente chez Freud sous la forme de ce qu’il appelle le compromis : le symptôme est, dit-il, la formation d’un compromis entre une satisfaction et une punition. La demande que formule un patient à l’égard du psychanalyste afin de le débarrasser de son ou ses symptômes sous-entend donc le renoncement, non seulement à quelque chose qui pose problème, mais également à une jouissance, inconsciente, contenue dans le symptôme.

C’est la raison pour laquelle certains sujets, malgré la souffrance éprouvée, ne s’engageront jamais dans une démarche analytique ou alors, après un long temps de préparation. Ils ont peur d’aller plus mal, peur que ce qu’ils vont vivre soit pire que ce qu’ils éprouvent à l’heure actuelle. En fait, ils ne parviennent pas à se représenter leur vie sans symptôme, sans angoisse. Ce n’est pas du tout parce qu’ils sont masochistes, qu’ils aiment souffrir, mais parce que l’enjeu d’une telle démarche consiste dans le renoncement à la jouissance que procure ce dont ils souffrent. Cela donne lieu à un certain nombre de questions : cela vaut-il la peine de s’engager dans un travail qui peut-être sera long ? ne vaut-il pas mieux que je m’habitue à mes problèmes, puisque d’autres en ont de bien plus graves ?…
Freud classe toutes ses interrogations sur le versant des résistances. On ne peut pas dire que ce discours ne soit pas pour autant fondé : ça coûte beaucoup, de renoncer à se plaindre pour faire face à la responsabilité de comprendre ce qui nous arrive, déceptions comme satisfactions, réussites comme échecs, etc. Par ailleurs, ceux qui éprouvent beaucoup trop de jouissance dans leur symptôme, qu’on appelle pervers, ne feront jamais la démarche spontanée d’aller vers un psychanalyste. D’où la difficulté d’avoir une efficacité thérapeutique sur ceux-ci lorsqu’ils tombent sous le coup d’une injonction de soin réclamée par le juge. Pour que l’intervention du psychanalyste soit efficace, il est nécessaire qu’une demande soit formulée par le patient lui-même. S’il n’y a pas de demande, il faut la faire naître chez le sujet, ce qui arrive souvent lorsque quelqu’un vient nous voir sur l’insistance de sa famille, par exemple. Chez celui qui, depuis toujours, se passe très bien de l’Autre, cette demande ne viendra jamais si on ne l’incite pas.

Mais revenons au sujet en demande d’analyse. Celui-ci vient avec des questions, des doutes :  » Je ne sais pas ce qu’il m’arrive, je ne sais pas ce que je dois faire, je ne comprends pas « … Toutes ses interrogations sont le signe de ce que le symptôme est pris dans les rets d’un savoir non-su. Ce que le psychanalyste offre, en position de sujet supposé savoir, du point de vue du patient, c’est d’abord son écoute, pas son savoir. Le psychanalyste n’a pas à donner de cours à son patient. Expliquer les théories de Freud, de Lacan ou d’autres encore n’aurait aucune efficacité thérapeutique sur les symptômes !

L’analyste n’est pas là pour endoctriner le patient, même si, au cours d’entretiens que l’on appelle préliminaires et qui peuvent durer jusqu’à des mois, le psychanalyste aide son patient à prendre la mesure de l’existence en lui de l’inconscient, de ce que celui-ci engage et met en œuvre, à son insu, dans sa vie quotidienne au plan de ses relations amoureuses, de ses relations avec ses collègues, avec ses parents, sa famille, etc. Dans ce temps préparatoire à la cure, l’analyste est là pour faire tomber les idées reçues du type :  » Si je ne vais pas bien, c’est la faute de mes parents, ou de la société, ou… « , et pour faire choir les préjugés ( » Si j’avais plus confiance en moi, tout irait mieux « ).

Il y a bien sûr une part de vérité dans ces plaintes qui dénoncent les défaillances de l’Autre, mais si toute l’histoire d’un individu se réduisait à la responsabilité d’un Autre incapable ou mauvais, alors, il n’y aurait pas de cure analytique possible. On se contenterait de plaindre le patient, ce en quoi on renforcerait sa position paranoïaque et sa position de victime. On n’est d’ailleurs pas loin de cette position évoquée à l’instant : puisque l’Autre est mauvais, autant se débrouiller sans lui. Car l’analyste, en tant qu’il se substitue aux parents et à tous les individus qu’un sujet côtoie, ne tarde pas à devenir aussi le support de cette haine du patient envers l’Autre. Au cours de la cure, c’est une situation classique, mais si l’analyste soutient le patient dans cette représentation du monde en tant qu’il fait partie lui-même de ce monde, à terme, on ne voit pas pourquoi l’analysant pourrait compter sur lui.

Tout au contraire, le psychanalyste renvoie au sujet sa plainte en l’impliquant dans celle-ci : quel rôle a-t-il pris, comment a-t-il réagi dans telle situation et pourquoi pas d’une autre manière ? Avec le temps, l’analysant s’aperçoit qu’il fait des choix, que sa subjectivité est intervenue dans les évènements de son histoire. Il retrouve sa place de sujet. Ce qui prévaut dans la cure n’est donc pas l’histoire objective, l’évènementiel, mais la subjectivité. Heureusement, car cela signifie qu’un évènement grave ne provoque pas mécaniquement les mêmes effets pathogènes à long terme chez tout le monde. Ces effets dépendent de chaque sujet.

Et inversement, un fait qui peut paraître anodin d’un point de vue extérieur peut avoir des conséquences majeures. Je peux en donner un exemple simple avec un garçon de 7 ans que j’ai rencontré deux fois. Il venait pour des problèmes de comportements : il était très agité, voire agressif chez lui et à l’école. La seconde fois, son lapin était mort la veille. Ce garçon habitant en appartement, le lapin se promenait partout, déposait ses crottes sous les lits, sous les couettes… bref, pour les parents, la mort du lapin était un soulagement. Mais pour lui, c’était tout autre chose. Il était très affecté, il m’a dit tristement :  » Avant, quand je n’avais pas de psychologue, je parlais à mon lapin « . On peut dire que ce petit garçon avait perdu une adresse : bien plus qu’un lapin, quelqu’un à qui parler. J’arrivais juste au moment où peut-être j’allais pouvoir remplacer le lapin…

La question du temps revient également souvent dans les appréhensions dont on entoure la cure analytique. Une analyse, c’est long, tout d’abord parce que le psychanalyste ne peut pas de butte en blanc dire au patient :  » Dans ce qui vous arrive, vous êtes pour quelque chose « . Une bonne part de son travail va en revanche consister à l’amener à ce point afin que le patient prenne conscience de cette dimension. Alors, oui, le temps peut être très long pour parvenir à des changements durables, qui ne soient pas que de surface. L’inconscient se moque du temps, et ce qui y est présent demeure à cette place quelles que soient les années qui passent.

La cure analytique n’est donc pas quelque chose qui s’enseigne, mais dont on fait l’expérience : c’est une épreuve, de s’apercevoir peu à peu que ce que l’on s’était imaginé, représenté de soi-même ou des autres ne tient plus. C’est un peu effrayant, d’ailleurs ; d’autres interrogations surgissent, la poursuite de la démarche analytique peut être aussi remise en cause mais en même temps, un nouvel enthousiasme peut apparaître, le désir d’en savoir plus…

La psychanalyse est bien une expérience qui porte sur l’être, qui apporte un savoir sur son propre être à travers le discours que l’on va tenir sur soi-même aussi bien que sur les autres. Mais ces premiers autres qu’ont été les parents n’ont pas besoin de venir confirmer ce que vous dites en analyse. C’est pourquoi la théorie freudienne a d’abord été contestée sur le crédit que l’on pouvait accorder aux dires des patients. En effet, on peut invoquer le fait que la mémoire n’est pas infaillible, que l’honnêté intellectuelle peut être mise en cause ou, tout simplement, que le sujet s’est trompé dans ses appréciations.

À ceux qui objectaient que les propos des patients n’étaient pas vérifiables et qu’on ne pouvait en aucun cas les tenir pour vrais, Freud répondait que la vérité du sujet était toujours là, puisque c’est avant tout celle de l’inconscient. C’est cette vérité là qui l’intéresse : non pas la connaissance avec exactitude de tel ou tel évènement passé, non pas une description objective mais l’expression d’un vécu propre à chacun. Le sujet accède à sa vérité, non pas en dépit de l’exactitude de son histoire qu’il rapporte, mais précisément grâce aux représentations personnelles, purement subjectives, de son histoire.

Je voudrais terminer en donnant un exemple qui permet de voir comment fonctionne le refoulement du signifiant.

Il s’agit d’une dame qui se plaint d’avoir beaucoup de difficultés à se nourrir et d’être prise de vomissements, ce que, dans le langage courant, on exprime par le mot  » rendre  » plutôt que par le mot  » vomir « . Parfois, inquiète, elle se dit :  » Je vais encore rendre « …

Dans son enfance, elle a dû accompagner sa plus jeune sœur à l’école et celle-ci fait des crises de colère pendant le trajet, se roule par terre, tape dans les portes… Sa sœur aînée, ma patiente donc, a honte et ne sait comment arrêter ces crises. Elle s’en plaint à sa mère, laquelle lui propose de passer par la pâtisserie en chemin. Sa mère lui donne un peu d’argent et la plus jeune sœur choisit un beau gâteau, mais il n’y a pas suffisamment dans le porte-monnaie pour elles deux… Ce n’est pas seulement la contrariété, le sentiment d’injustice qu’elle a éprouvé à ce moment là qui est cause du symptôme  » envie de vomir  » : ce qui est en jeu, c’est le signifiant  » rendre « . En effet, elle estime, lorsqu’elle m’en parle, que ce jour-là,  » quelque chose ne lui a jamais été rendu « . Elle prononce alors plusieurs fois ce mot, mais sans l’entendre véritablement. C’est en ça qu’il est refoulé. Elle n’entend pas que le même mot désigne son symptôme et sa souffrance de petite fille : rendu. J’ai souligné simplement ce signifiant-là,  » rendu « , et d’elle-même, elle a compris. De ce moment-là, il n’a plus été question de vomissement.

Tout n’était pas réglé pour autant, mais cet exemple montre la façon dont le signifiant fonctionne. D’un côté de la chaîne, vous avez le symptôme vomir, de l’autre, l’histoire du gâteau jamais rendu. Ce qui est inconscient, ce n’est pas quelque chose de caché puisqu’elle sait très bien que cette histoire l’a peinée. Ce qu’elle a refoulé, c’est que le signifiant  » rendu  » faisait lien entre sa déception de petite fille et son symptôme de femme adulte.

Je vous remercie.

 

 

 Artistes et Intervenants à l’Isle-Adam :
Sylvia Commandeur – Vicky Estevez – Hubert Hochwarter – Pierre Merejkowsky – Véronique Pattegay – Alfonso Vallès – P. Merejkowsky et véronique Pattegay

Artistes et Intervenants à Sarcelles :
Pierre Merejkowsky – Véronique Pattegay – Colette Soler – Alfonso Vallès