Trois tables de travail

Le CE2 d’Anick Hirtz et Marylène Touillet de l’école Roland-Malvitte de Gonesse
Le CM2 de Chantale Mimouni d’Ecouen
Jean-Claude Ferrand, ancien directeur d’institut médico-éducatif
Vicky Estevez, artiste
Claire Hennebo, responsable de la culture et de l’enfance à la FOL 95
Mado Renard, CPE aux arts plastiques à l’Education nationale
Michèle Le Lez, enseignante Mission Zep à Goussainville
Véronique Garnier, délégation académique à l’Action culturelle
Dominique Rouppillard, coordinateur pour l’Action culturelle pour les établissements du second degré
Yveline Dreyfus, conseillère départementale en Arts visuels.
Claire Hennebo, Michèle Le Lez et Jean-Claude Ferrand, rapporteurs et animateurs des tables

Premier groupe, avec Claire Hennebo

Les enfants : « L’art, c’est ce qui sort de notre âme », « l’art, c’est ne pas faire comme les autres mais faire sortir ce que l’on a en soi pour gagner sa personnalité », et puis « l’art, c’est permettre à tout le monde de s’exprimer mais, quand tout le monde s’est exprimé, que chacun a dit ce qu’il avait à dire, on réunit les œuvres de tout le monde, c’est mieux ; par exemple, quand on a fait les affiches, chacun s’est exprimé avec son affiche mais quand on a regardé toutes les affiches ensemble, ça parlait bien plus qu’une affiche toute seule ». Pour les affiches, certains ont travaillé avec des slogans avant, d’autres après la réalisation plastique, il n’y avait pas d’obligation.

J’ai posé la question :  » Lorsque vous avez vécu la classe à Pac, y a-t-il des choses qui vous ont paru bizarres ?  »
Ce qui a paru bizarre aux enfants et aussi aux maîtresses dans la façon de faire, par exemple : on leur demandait de faire un dessin et après, on leur demandait de faire un autre dessin par-dessus le premier ; ou encore, l’artiste a demandé à chacun de dessiner le portrait de son copain mais sans regarder sa feuille de papier et en tentant de s’approcher le plus possible d’une ressemblance.
Du point de vue des maîtresses, c’était une expérience très riche, beaucoup d’enfants ont commencé à s’exprimer où à faire des choses qu’ils auraient jamais osé faire sans cela. Des enfants timides qui se sont donnés à fond ont réussi à dire ce qu’ils avaient à dire autrement que par la parole. Une grande complicité est née entre les enfants autour de ce qui s’est créée dans la classe par un travail qui a été fait ensemble.
Les enfants estiment que c’était une bonne expérience parce qu’ils ont fait quelque chose qu’ils n’avaient pas l’habitude de faire, ça leur a ouvert des yeux sur plein de choses.  » Surtout, des fois, on disait qu’on avait raté et puis l’artiste arrivait et disait que non, que c’était génial, alors, finalement, on s’est rendu compte que quelquefois, quand on croit qu’on a raté, eh bien, on a fait quelque chose de bien. Ça nous a ouvert les yeux parce qu’on n’était pas sûrs de nous, au début. « 

J’ai aussi demandé :  » Est-ce que vous avez envie de revivre une classe à Pac et pourquoi ?  »
Les enfants ont répondu qu’ils avaient été motivés de faire des choses différentes que celles habituellement faites en classe, et que c’étaient des choses rigolotes. Un a dit :  » Au début, j’ai fait ça parce que c’était amusant et que j’avais envie de voir ce que cela allait donner à la fin « . Une petite fille :  » La classe à Pac, c’est bien parce qu’on parle de nous, on dit ce qu’on a envie de dire, des fois, quand on a le cœur lourd, et ça peut soulager, on peut exprimer ce que l’on ressent, ça nous a ouvert les portes sur une autre façon de faire « .
La liberté est un motif qui revient souvent dans la bouche des enfants :  » On a été libres de s’exprimer, on s’est sentis libres. Au début, on n’a pas bien compris et puis finalement, on nous a donné des consignes mais une fois la consigne donnée, on nous a dit  » Vous pouvez aussi faire comme vous voulez « .  » On a passé de superbons moments, c’est rare, qu’on nous dise de faire comme on veut et là, on en a profité. « 

La dernière question était :  » Est-ce que votre regard sur l’art a changé ?  »
Une petite fille nous a dit :  » Je vois les choses autrement. Au début, on ne comprenait pas quand on regardait une œuvre, même celles que faisaient les copains, et maintenant que Véronique nous a donné des explications, on comprend ce qu’on a envie de comprendre ou ce qu’on a envie d’y voir « .

La question à laquelle on n’a pas répondu était :  » Est-ce qu’on a besoin de savoir beaucoup pour comprendre l’art ? Est-ce qu’il suffit de regarder ? Et qu’est-ce qu’il faut regarder ?  » Mais on s’est rendu compte que cette question, qui nous semblait toute petite, si elle n’était pas comprise par les enfants, c’est peut-être parce qu’elle était trop grande.

Deuxième groupe, avec Michèle Le Lez

À notre table, on a beaucoup parlé de ce que c’est que d’être un artiste parce qu’avoir une artiste dans la classe, c’est rare. Véronique Pattegay nous en a parlé, on en sait un peu plus, même si on ne saurait pas bien l’expliquer. Ce n’est pas si simple. Alors, la question s’est posée de savoir si le fait d’avoir une artiste avec nous dans la classe faisait de nous des artistes. Certains ont répondu : « On est un petit peu artistes aussi ». Mais une autre petite fille a dit :  » Ce n’est pas parce qu’on a fait une affiche avec une artiste que cela fait de nous des artistes. Il en faut plus, pour être artiste ». On a dit qu’il faut travailler plus, étudier l’art, se concentrer. On a vu aussi que l’artiste, c’est quelqu’un qui se montre, c’est quelqu’un de connu. C’est aussi quelqu’un qui se peint lui-même.

On a cherché ce qui a changé. Le fait d’avoir fait cette classe un peu particulière avec une artiste, qu’est-ce que ça a changé dans la classe, dans l’école, chez les élèves, chez la maîtresse et chez l’artiste ? Ça nous a donné pleins d’émotions. On a eu du plaisir. Tout a changé car on n’était pas habitué à faire de l’art plastique de cette façon. Les élèves étaient tout contents de coller leur affiche et de pouvoir les montrer. C’est important, de se montrer. C’était bien, de voir tout ce monde, de voir qu’on avait bien travaillé et que nos affiches, les gens allaient les voir. C’est important parce que ça incite les autres à faire aussi de l’art et à tenter de comprendre l’art. On a essayé de faire passer des messages, ce qu’on aime, ce qu’on n’aime pas, et on a posé des questions. On a demandé aussi ce qui a changé chez Véronique, elle nous a dit que cela lui a permis de se sentir plus proche des enfants, qu’elle a été bouleversée par ce que les enfants étaient capables de dire et d’exprimer, et par le message qu’ils voulaient communiquer.

Troisième groupe, avec Jean-Claude Ferrand

En définitive, on peut dire que ce que vous, les enfants, avez voulu signifier, c’est que vous avez beaucoup de messages à transmettre.  » On veut s’exprimer « ,  » On a des choses à dire  » : ça, vraiment on l’a entendu. On a même entendu :  » On peut connaître plus de choses que les grands, on a plus d’idées, peut-être !  » ; mais surtout, que, durant cette classe-là, on a fait des choses qu’on ne peut pas faire ailleurs.

Certains messages vous tourmentent et vous avez envie de les faire connaître. Par exemple, il faut faire quelque chose contre la bagarre. Stop à la bagarre, ça suffit, la violence ! Un autre dit :  » Il faut plonger dans la vie, il faut se jeter dans la vie, il faut participer « . On voit bien une volonté de partager la vie, ce que vous avez dit :  » Il faut sortir de son isolement « . Mais l’art, ça permet aussi le rêve, le voyage. Un jeune a pu montrer combien la parole était importante. Il a voulu dire aux gens qui se sentent agressés et qui se bloquent qu' » ils peuvent parler ; c’est important, la parole « . Une petite fille a dit :  » Je ne suis pas une poupée  » car, c’est vrai, les enfants ne peuvent être traités comme des objets. Une autre s’est exprimée par la poésie…

Véronique a reçu par ailleurs des messages bouleversants. Vous avez montré que vous aviez des choses à dire, des choses importantes et qu’il faut que nous puissions retenir. Ce que vous souhaitez après cette expérience, c’est la  » partager  » avec d’autres, d’autres classes, avec la famille, mais pas toujours avec la famille parce que, pour certains d’entre vous, cette expérience-là, on préfère la garder avec la classe et les copains plutôt qu’en parler en famille, on n’est pas prêts, pour transmettre certains messages. La possibilité qui a été offerte à la classe a été un moment très important, heureux, un vrai moment de bonheur. À l’unanimité, tout le monde veut continuer, c’est important de ne pas en rester là, il faut absolument qu’il y ait une suite.

Il semblait plus important que tout de transmettre ce qui s’était passé, de communiquer. Il y a chez les enfants un désir de communiquer aux autres. Ce qui semblait un peu difficile car si l’on sentait les enfants avides de poursuivre l’expérience, l’enseignante, elle, n’était pas enthousiaste en raison des conditions matérielles, qui n’étaient pas bonnes. Le groupe élargi était une gêne et il n’y a pas d’espace approprié pour cette expression-là à l’école. Un autre groupe d’enfants d’Écouen avaient, eux, la possibilité de rejoindre le centre culturel voisin de l’école et de disposer d’un lieu spécifique pour le projet artistique, ce qui semblait mieux leur convenir. Je m’interroge sur une possible suite à cela, le projet étant tiraillé entre, d’un côté, le très fort désir des enfants de pouvoir s’exprimer, de côtoyer un artiste, d’y trouver quelque chose qui répond à une forte demande de s’exprimer, et de l’autre, les possibilités de l’école qui semblent freiner cette expression.

Ce que l’on ressent nettement, c’est un désir d’ouverture de ce qui se fait à l’extérieur. L’affichage autour du marché a été important et aussi l’échange de paroles qui a eu lieu après, il y avait là quelque chose qui semblait essentiel pour eux. Des propositions ont été faites pour la suite, en particulier de former de plus petits groupes, qui permettent d’approfondir l’expérience au sein de lieux plus appropriés.