Sans canal fixe (Tours), diffusion de programmes réalisés par les chaînes de télévision associatives.
Pierre Merejkowsky – […] disons que je suis un artiste qui fait des films. Je pense qu’il est très important qu’on n’ait pas de comptes à rendre à qui que ce soit. Cette Biennale, c’est la mairie de Gonesse qui a voulu la faire. Elle en a confié l’organisation à l’association Il faut le faire mais moi, je ne fais pas partie de cette association et je refuse d’avoir un cahier des charges. C’est pour ça que je me sens libre de dire ce que j’ai envie de dire. Je vais donner la parole à Rym. Tu veux un peu parler de Zaléa ?
Rym Morgan – Merci. Il y a deux, trois ans, une loi en France disait que seules les télévisions privées comme TF1, M6, etc., pouvaient faire de la télévision en France. On est un certain nombre à ne pas avoir été d’accord avec ça. On a donc sorti des émetteurs pirates, on les a montés sur les toits et on a fait des programmes libres, qui sont faits par… vous, par moi, par des individus, par des associations, parce qu’on considère que ces programmes-là ne sont jamais vus à la télévision et que la télévision aujourd’hui ne représente pas ce que fait le monde, ce qui a lieu dans la vie réelle. Elle est réservée à quelques-uns, bien souvent destinée à faire de la publicité, etc. On a besoin d’un autre type de télévision, voilà pourquoi on a lancé ce qu’on a appelé le » tiers secteur audiovisuel « , un regroupement de différentes télévisions à but non lucratif : des associations, des coopératives, etc. Celle dont on s’occupe s’appelle Zaléa Télévision, ça veut dire : Zone d’action pour la libre expression audiovisuelle. Pour que vous puissiez vous faire une idée avant d’aller plus loin, on va regarder deux petits extraits de ce qu’on peut faire avec une télé.
La place Vendôme (extrait de la bande son)
… » La place Vendôme, témoin de plus de 300 ans d’histoire, est l’une des plus belles places dont peut s’enorgueillir Paris. C’est d’une spéculation financière qu’est né cet ensemble prestigieux d’architecture grandiose et merveilleux. Le plan, ambitieux, décidé par Louis XIV en 1685 et confié à Jules Hardouin-Mansart, connut de nombreuses péripéties et sa construction fut finalement achevée en 1720. Les gens de finance qui bâtirent la place Vendôme eurent pour successeurs des grands seigneurs de la noblesse et de la cour qui, durant deux siècles, habitèrent les hôtels auxquels leur nom est resté attaché: Évreux, Durefort, Gramont, Broglie, Chemay. Au cours du XXe siècle, les grands joailliers y prirent place : Boucheron, puis Chaumet, Van Cleef & Arpels. Ce sera ensuite le tour des banquiers, le Crédit Foncier, encore propriétaire de près de la moitié de la place, la banque Morgan, grandes banques étrangères. César Ritz, venu de Londres, installe sur la place Vendôme l’un des hôtels les plus luxueux de Paris. La place Vendôme a été conçue pour être un somptueux petit paradis pour la noblesse et la haute bourgeoisie. Il n’est donc pas étonnant que cet endroit de rêve soit un lieu privilégié de visite. Pas seulement pour les stars du show business, les rois de la finance, du pétrole, les princesses, les grands de ce monde, mais aussi les touristes, les badauds, les provinciaux, les banlieusards, venus lécher les vitrines alléchantes sans jamais caresser l’espoir de se voir en princesse ou en grand seigneur de la noblesse. Parmi les acteurs de la vie ordinaire, seuls les serviteurs parviendront à jouer dans la scène : les hôtesses, les commis, les valets, les grooms. Dans leur prison dorée et leur beau costume bleu, les serviles grotesques arpentent la place, prêts à ramper devant le premier bourgeois venu, à se plier en quatre pour quelques francs bien mérités.
‘La justice paie ! La justice paie !’
D’un cul léché à l’autre, la langue du serviteur s’affinera à mesure que sa bourse s’emplit. Ce pécule patiemment accumulé, en honorant la bourgeoise dans sa platitude, servira peut-être à déshonorer la première putain croisée en rentrant au logis, logis payé à crédit et tenu bien propre par une épouse modèle, elle-même prompte à la servitude.
‘La justice paie ! La justice paie !’
Ayant éjaculé sa frustration d’esclave, le serviteur se ressourcera au robinet à images déversé par ses propres maîtres, pour le maintenir à disposition, prêt à l’emploi. Programme de divertissement de diversion : un match de foot, une bière, minces récompenses pour le lécheur de bottes condamné à revenir le lendemain pour ne jamais faillir à sa tâche de larbin « …
Pierre Merejkowsky – Les films sont réalisés sous licence TSA, ce qui veut dire » Tiers secteur audiovisuel « . En un mot, les films réalisés sous cette licence, il est interdit de les vendre, ni aux chaînes publiques, ni aux chaînes commerciales. On espère, par ce moyen, créer une zone non marchande, une zone de non-vente, et créer ainsi une zone de liberté dans laquelle le commerce n’entre pas en ligne de compte. Ces licences TSA, ça commence à marcher. Les programmes peuvent circuler librement, sans droits, dans tout le secteur associatif, et un certain nombre d’associations rejoignent ce secteur non marchand, dont une bonne trentaine sur toute la France. C’est une réflexion qu’on est en train de mener, pour savoir pourquoi on fait des films. Est-ce que c’est pour les vendre ? ou pour créer de l’énergie, disons : un certain enthousiasme ?…
On va maintenant zoomer sur un quartier de Paris. C’est un quartier qui est autour du métro Stalingrad, à cheval sur les XVIIIe et XIXe arrondissements, délimité par le boulevard de la Chapelle, la rue d’Aubervilliers, la rue de Tanger et la rue du Département. Comme c’est le quartier où j’habite, c’est facile, pour moi, de filmer ce qui s’y passe. Un soir, en sortant pour aller à Zaléa, il y avait eu une fusillade, quelqu’un est resté sur le pavé, blessé grave, apparemment. Voilà ce que m’ont dit les policiers quand ils ont vu que je filmais (parce que, dès que j’ai commencé à faire le reportage, ils ont été envoyés par leurs chefs). On les écoute.
Deuxième court-métrage (extrait de la bande son)
» Monsieur, vous arrêtez votre caméra.
– Pourquoi ?
– Parce que. On a reçu des ordres, vous arrêtez la caméra.
– Vous avez reçu des ordres ? de qui ?
– Du commandant. Donc, vous vous rangez, vous arrêtez de filmer…
– C’est pas possible !
– Si, monsieur.
– Je suis journaliste, j’habite ici. Je n’ai pas le droit de filmer ?
– Vous n’avez pas le droit de filmer parce qu’on voit nos visages.
– Parce qu’on voit vos visages ?
– Tout à fait.
– Désolé. Cachez vos visages !
– Rangez votre caméra, monsieur. Nous, on travaille.
– Vous travaillez à quoi, exactement ?
– Justement, il n’y a rien, en plus : alors, pourquoi vous filmez ?
– Je filme de très loin.
– Justement ! Rangez votre caméra.
– Dites-moi à partir d’où…
– Non, ce n’est pas la question, vous ne filmez pas, monsieur.
– On n’a pas le droit de filmer, à Paris, dans les rues de Paris ? Je voudrais comprendre.
– Non, c’est les ordres.
– Les ordres. C’est n’importe quoi, les ordres !
– Vous ne filmerez pas.
– Dans les rues de Paris, on n’a pas le droit de filmer ? Ou alors, je ne vous filme pas vous, vous ne voulez pas que je filme les policiers. Je peux interviewer les gens autour ?
– Vous pouvez interviewer, sans la caméra.
– Sans la caméra. Pourquoi sans la caméra ? La télévision n’a pas le droit de travailler en France ? Comment on fait pour avoir les images de la télévision, si on n’a pas le droit de filmer ? Je peux filmer les gens qui sont là, sur le trottoir ?
– Vous filmez là-bas, si vous voulez. Dans l’autre direction.
– Je me mets comme ça, alors, dans l’autre direction. Est-ce que quelqu’un peut me dire ce qui s’est passé ?
(Une passante) – … J’en sais rien du tout.
– Ouais, mais ils ne veulent pas que je traverse, ils ne me laissent pas aller là-bas. Vous êtes au courant ? Personne n’est au courant ?…
Ces gens-là ne voulaient pas trop parler. Mais j’en ai trouvé d’autres qui ont bien voulu. C’est un quartier où, effectivement, il y a énormément de trafic de drogue, du crack mais pas seulement, de l’héroïne aussi, un quartier où il y a des dealers, des toxicomanes, et aussi des jeunes, des habitants, des commerçants… et des policiers. Tout ce qui fait donc la vie d’un quartier, quoi, d’un quartier comme celui-là, en tout cas. C’est un quartier peuplé en majorité de populations issues de l’immigration ; la cohabitation de tout ce petit monde se déroule dans un périmètre assez restreint et dans un cadre très dégradé, c’est le moins qu’on puisse dire, puisqu’il y a effectivement un mélange permanent entre les enfants et les jeunes, les dealers, les toxicos et les habitants qui font leurs courses. C’est un quartier de commerçants. Très sale, beaucoup, beaucoup moins nettoyé que d’autres quartiers de Paris. Je ne sais pas pourquoi, je vous laisse deviner « …
Rym Morgan – Voilà, c’étaient juste deux exemples. La première chose qu’on se dit : c’est marrant, pourquoi on ne voit pas ça sur TF1 ? Pourquoi ne voit-on jamais ces images ? Pourquoi les gens qui font ce type de programmes ne peuvent-ils jamais les montrer ? Pourquoi les journalistes ne font-ils jamais ce travail-là ? Les deux films que vous avez vus ont coûté zéro franc ! Quelqu’un nous a prêté une caméra et du matériel son, c’est tout. Pas besoin de producteur, d’un grand réalisateur, d’un grand journaliste, les gens se prennent juste en charge – comme la fille, là-bas au fond de la salle, qui est en train de filmer -, ils font un film sur ce qui se passe autour d’eux, sur la vie de tous les jours. Chacun d’entre nous ici a une expérience, une activité, des choses intéressantes qui se passent autour de vous que vous pouvez filmer, et même monter.
L’un des objectifs de Zaléa TV, c’est de diffuser, comme le ferait n’importe quelle chaîne de télévision (TF1, France 2, France 3…) mais pour montrer spécifiquement des films faits par des gens issus du monde associatif, de la » société civile « . Dans la production existante, vous verrez qu’il y a même de grands réalisateurs qui ont participé à cette expérience-là et qui ont montré leurs films, René Vauthier et d’autres… Pourquoi ? Parce que les chaînes de télévision françaises censurent énormément de films, d’artistes, de groupes culturels, d’opinions politiques variées. Regardez la télévision d’aujourd’hui, on a l’impression qu’on y voit toujours les mêmes 20, 50, 500 personnes, toujours les mêmes, en boucle. Vous voyez des hommes politiques auxquels les gens ne posent pas de questions, qui ne les interpellent pas sur un certain nombre de sujets. Comme si la télévision devait fonctionner de cette manière-là, sans aucune alternative !
L’idée qu’on défend, c’est qu’il existe une alternative à la télévision mais que des programmes comme ceux-là semblent tellement inquiétants pour les pouvoirs publics, le gouvernement, les collectivités locales, que le Conseil supérieur de l’audiovisuel, l’instance qui régule les télévisions en France, a décidé de censurer ces télévisions pendant les périodes électorales. En gros, vous pouvez faire ce travail-là quand il n’y a pas d’échéance politique mais dès qu’il y a des élections, on vous explique que ce n’est plus possible, que vous devez arrêter de diffuser. Par contre, on de dit pas à TF1 ou France 2, » Vous devez arrêter de diffuser » : ces chaînes-là peuvent diffuser, montrer leurs films ou leurs reportages sur l’insécurité, comme on l’a vu la dernière fois, durant la campagne présidentielle de 2002. On connaît maintenant le résultat (Le Pen, 20% des suffrages au premier tour, Jospin éliminé pour le second tour), une partie de l’explication en tout cas vient de là.
Ce que vous avez vu là a été diffusé l’année dernière sur Canal Satellite, avec qui on avait trouvé un accord, et 1,7 million de personnes ont pu recevoir ces programmes. Ça a été diffusé en chaîne hertzienne analogique, c’est-à-dire la télévision comme vous la connaissez tous sur les différentes chaînes que vous recevez chez vous. Et ça n’a jamais posé le moindre problème ! On a toujours fait les enquêtes qu’on voulait, aucune plainte n’a été déposée contre Zaléa TV, on n’a perdu aucun procès.
Autre chose : la question des sous, puisque c’est souvent l’argument qui est opposé à notre expérience. Mais Zaléa TV est une télévision qui aurait besoin, dans le meilleur des cas, de 5 millions de francs par an. C’est le budget d’une journée d’une chaîne comme France 2 ! Faites la multiplication : avec 365 fois moins que le budget d’une chaîne publique, on peut faire une chaîne de télévision dans laquelle les gens peuvent s’exprimer réellement, dans laquelle on peut aller interviewer les gens sur ce qu’ils vivent tous les jours. Ce que vous avez vu là n’est qu’un type de programme. Il y a de nombreux artistes, de nombreux collectifs qui n’ont jamais la parole à la télévision qui sont venus diffuser sur Zaléa. 450 associations ont pu y montrer leur travail l’année dernière, parler de ce qu’elles font au quotidien et, dans le meilleur des cas, réaliser leur film elles-mêmes.
Pierre Merejkowsky – Je me proposais de lire un texte que j’ai écrit. Moi, dans ma démarche, je suis toujours un peu dubitatif sur l’idée même du débat. Parce que je ne sais pas par quel dispositif on peut créer des échanges de paroles, et je ne suis pas persuadé qu’il faille le faire de cette façon. J’en suis arrivé à la conclusion qu’en ce qui me concerne, il valait mieux entrer dans une période de silence, afin de ne plus essayer de m’exposer par des paroles, qu’il était temps de privilégier l’écrit. Voilà la raison de cette attitude.
C’est un texte qui s’appelle » Ma proximité et moi « , sous-titré : » Les télévisions associatives « .
» Je ne suis pas un journaliste professionnel. Je n’aime pas les journalistes. Je n’aime pas les professionnels. J’aime les enfants, les femmes, les hommes, et j’estime avoir parfaitement le droit de donner, au nom de ma propre proximité, ma version des faits.
Je désire en fait exercer un strict contrôle sur la gestion de ma propre proximité. Ce strict contrôle s’inscrit dans un mouvement qui englobe toutes les strates de la société civile. Il existe en effet des commissariats de proximité, une armée de proximité, une police de proximité, des commerces de proximité, une justice de proximité et une démocratie de proximité. Je réalise des films de proximité. Je ne cherche pas à créer une télévision de proximité et les télévisions associatives de proximité diffusent souvent mes films de proximité. Ces télévisions associatives de proximité sont regroupées au sein de différentes coordinations. Les messages des associations de proximité, adhérentes de ces coordinations, sont automatiquement transmis par l’ordinateur central à tous les membres de la coordination. L’organisation Attac, Le Monde diplomatique, SUD, AC!, ne transmettent pas automatiquement les messages envoyés par leurs adhérents. Attac, Le Monde diplomatique, SUD, AC! forment une organisation luttant contre la mondialisation. Les coordinations des télévisions associatives de proximité ne réclament pas un changement de société. Elles n’agissent pas pour la révolution. Elles demandent un fonds de soutien calqué sur le modèle des radios associatives de proximité.
Je n’agis pas non plus pour un changement global de la société. Je ne suis pas un militant révolutionnaire. Je suis un artiste réalisateur de films de proximité. J’agis toujours dans le strict cadre de la légalité. Ainsi, pour prendre un exemple, je n’ai jamais pu adhérer à Ondes sans Frontières, je ne sais pas pourquoi. Ondes sans Frontières défend l’idée de l’accès public au nom de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et je crois que les adhérents ont le pouvoir de décider du contenu des programmes. Or, il n’est pas possible d’adhérer à Zaléa TV. Zaléa TV est une télévision associative nationale et de proximité et les membres fondateurs de Zaléa sont les seuls à décider du contenu des programmes. Il n’y a pas de vote entre les membres fondateurs. Si un membre fondateur veut passer un programme, les autres membres fondateurs sont obligés de s’incliner. Cette absence de pacte majoritaire favorise l’expression des minorités.
Je suis une minorité. Je ne me suis jamais adressé à un directeur de casting. J’engage des comédiens dans des cafés – sordides. Ondes sans Frontières a émis depuis la Maison des ensembles puis de la tour de la Maison des ensembles, puis dans le squatt de la rue de Rivoli. Je ne sais pas pourquoi Ondes sans Frontières a cessé d’émettre depuis la Maison des ensembles, et pour quelles raisons les associations culturelles ont été regroupées dans la tour de la rue d’Avron, ni qui a volé l’émetteur d’Ondes sans Frontières dans la tour de la Maison des ensembles. Aguiton, un dirigeant antimondialisation des organisations Attac, Le Monde diplomatique, SUD et AC!, a déclaré, lors d’une réunion publique de la Ligue communiste révolutionnaire dans le XVIIIe arrondissement de Paris, qu’il n’était pas impossible qu’Ondes sans frontières ne représente plus, ces derniers temps, les aspirations des membres du mouvement social.
Navarro a fondé avec une amie une télévision de proximité. Elle s’appelle Télé Plaisance. Cette télévision émet dans la rue de Plaisance à Paris. Navarro m’a invité à participer à une émission avec des psychiatres – qui ne sont pas d’obédience lacanienne, je le précise. J’ai affirmé que je ne comprends pas pourquoi un patient, qui était présent dans le studio d’enregistrement, cherchait à retrouver du sens à sa vie. Les psychiatres m’ont répondu : 1. qu’ils ne parlaient pas avec des paranoïaques ; 2. qu’ils étaient dans le concret, dans l’urgence, et qu’ils n’avaient aucune envie de répondre à mes délires.
Sans Canal fixe, une télévision qui diffuse ses programmes dans la ville de Tours, m’a récemment invité à passer mes films. Ils ne veulent pas émettre. Ils estiment que la télévision doit se dérouler en présence des habitants, dans les cafés ou dans la rue. J’ai approuvé ce point de vue minoritaire. L’idée de la création d’une télévision se suffit à elle-même. La matérialisation d’une création conduit à une obligation de diffusion, à une institutionnalisation, à des rapports de force. Il est fort possible qu’une coordination exigera, dans les prochaines années, que toute personne, morale ou amorale, qui diffuse un film sur une télé, dans un squatt, dans un appartement, ait automatiquement droit à l’accès automatique du fonds de soutien automatique.
Enfin, en ce qui me concerne directement, j’assiste parfois aux réunions de Zaléa. Nous ne parlons jamais de notre responsabilité dans les réunions. Cette question est d’ailleurs dénuée de tout intérêt. Toutes les télévisions associatives ont été interdites d’émission pendant la campagne électorale. Le CSA affirme qu’elles ne respectent pas le quota des heures réservées à chaque candidat.
La lutte continue. «
Voilà ce texte que je me suis permis d’écrire. Parce qu’effectivement, je reste dubitatif sur l’utilité d’organiser des tables rondes. Je suis très content que le matériel que la mairie devait apporter à 8h30 n’ait été apporté qu’à 10h30. Je constate que le mouvement d’autosabotage que je mets en place a des relais auprès du maire, qui est candidat aux prochaines élections législatives… J’en profite pour répéter qu’en ce qui me concerne, au mois de juillet dernier ici à Gonesse, il y a eu une discussion dans un quartier de la ville pour savoir ce que les habitants voulaient faire d’un endroit désaffecté et je maintiens que j’étais pour l’ouverture d’une mosquée dans cet endroit. Je suis assez étonné que la question de cette mosquée ne soit plus évoquée, pourquoi ? (Ah ! la lumière s’allume, peut-être qu’il faut aller déjeuner, non ? Mais elle s’éteint, bon.) Je regrette que cette question de mosquée soit passée à la trappe, et je continue à m’interroger sur le pourquoi de l’affaire. Quelqu’un veut-il prendre la parole ?
Question de la salle – Vous militez contre quoi, au juste ?
– Je milite simplement pour l’idée qu’il faut absolument que l’individu s’exprime mais les structures – que ce soit une mairie ou l’association avec cette table ronde -, quelles qu’elles soient, ont pour but d’empêcher l’individu de s’exprimer. On est obligé de rentrer dans un cadre d’efficacité, l’efficacité consistant à toujours élargir l’audience et la visibilité, mais cette efficacité d’expansion ne conduit à rien, à mon avis. Elle conduit à la situation dans laquelle on est, c’est-à-dire à fabriquer des gens qui ne communiquent pas, qui se sentent de plus en plus mal, qui n’ont plus de relations entre eux. Je pense qu’il faut lutter à tout prix contre cette efficacité. C’est pourquoi je suis très content d’être dans cette mairie qui, effectivement, soutient mon combat puisque, systématiquement, elle fait en sorte, soit que la télé ne marche pas, soit que le magnétoscope ne fonctionne pas, soit qu’il n’ait pas de matériel à temps… Il y a comme une alliance objective entre le mouvement que je représente et la mairie, je crois que ça encourage l’idée que l’individu va se retourner contre tous ces faux-semblants. Je milite pour que l’individu puisse s’exprimer en dehors de toute structure, mairie, association ou table ronde ! La parole de l’individu doit prendre le pas sur le groupe, parce que le groupe est toujours là pour étouffer toute parole. Enfin, c’est ce que je ressens, mais peut-être est-ce un point de vue complètement erroné.
Cécile Escobar (directrice du centre socioculturel Marc-Sangnier) – Si l’objectif consiste à faire en sorte que les individus se prennent en charge, réagissent par rapport à un système, une mairie ou une société qui nous oppresse et nous aliène, j’estime pour ma part que la responsabilité des individus, c’est avant tout de construire. Je rappelle que monsieur Merejkowsky est intervenu cet été sur le quartier de La Fauconnière, dans le cadre d’ateliers de pratiques artistiques. Il a questionné un peu les habitants. Ce qui en est sorti, c’est que les habitants ont dit – et surtout les jeunes – : » Nous voulons une mosquée « . Ils voulaient une mosquée, oui, mais pas seulement ! Ils voulaient aussi une patinoire, un terrain de jeux, des animations pour la jeunesse, il faut aussi le rappeler. Ensuite, Pierre Merejkowsky reproche à la mairie et aux habitants de n’avoir pas su rebondir pour travailler la question… Peut-être, mais la mairie met aujourd’hui à notre disposition un centre socioculturel, des moyens. Ce n’est peut-être pas suffisant, mais de là à dire qu’il y a sabotage… Trop facile, de se contenter de dénoncer l’oppression, etc. Qu’est-ce que tu proposes, pour faire en sorte que les individus s’organisent et luttent contre ce système injuste ?
Pierre Merejkowsky – Avec la position de dire qu’il faut des propositions constructives, on repart dans ce cycle infernal que j’appelle le cycle de la production et de l’expansion, selon lequel il faudrait considérer que l’individu est sur terre uniquement pour produire des biens matériels, pour être efficace et pour s’organiser. Moi, je n’ai pas cette prétention. En ce qui me concerne, c’est vrai que je multiplie les projections, dans mon réseau ou dans d’autres réseaux quand on m’invite, mais il est clair que ce n’est pas à nous, les artistes, d’organiser la société. Si la société va mal – comme elle dit, la société -, s’il y a de la violence, s’il y a un parti fasciste, ce n’est pas de mon fait et, me semble-t-il, il est vraiment vain d’appeler les artistes à la rescousse au dernier moment pour jouer les casques bleus. Je vis dans un quartier assez riche dans Paris, je ne m’en cache pas, je suis le moins qualifié pour faire de l’éducation, pour faire du relationnel, ce n’est pas mon métier, je n’ai pas de diplômes, je ne sais pas le faire. Je ne sais dans quel esprit tordu l’idée saugrenue a germé que les artistes allaient pouvoir jouer les casques bleus dans les banlieues.
En ce qui me concerne, par exemple, je l’ai toujours dit, je n’ai jamais été partisan que mes films passe sur un vidéoprojecteur. Il se trouve qu’un de mes films a été acheté par FR 3 national : c’est le problème de FR 3 national, pas le mien. Je ne fais pas des films pour qu’ils soient achetés par FR 3 national et passe sur un vidéoprojecteur, ça ne m’intéresse pas. Je ne fais pas des films pour cela.
Mais, pour répondre à votre question sur ce que je fais de concret, à Gonesse, je suis allé dans deux ou trois cafés proposer qu’on y passe des films devant les consommateurs. En fait, j’étais même plutôt partisan de les passer dans la rue, sans demander la permission. C’est vrai que je ne l’ai pas fait, c’est peut-être une erreur de ma part – je ne dis pas que je ne le ferai pas. Si je l’ai pas fait, c’est aussi, je le dis franchement, parce que je n’ai pas envie d’apporter ma télé à moi parce qu’elle est lourde et que ça m’obligerait à demander à la mairie ou aux organisateurs de la Biennale de me prêter une télé et un magnétoscope et de les brancher comme ça dans la rue. Mais je ne veux pas parler de ça, je ne veux pas avoir de débats avec une mairie. Je l’ai fait dans le passé, et j’estime maintenant qu’une mairie n’est absolument pas là pour relayer des initiatives citoyennes. Je ne leur reconnais pas de légitimité électorale, d’ailleurs, parce que tout ce personnel politique est élu avec aussi peu de voix que moi – encore que moi, je ne me présente pas aux élections.
Ce que je suggère, puisqu’on en est à lancer des pistes et qu’on me somme d’être constructif bien que je sois réservé là-dessus, c’est qu’au lieu de construire des centres culturels qui coûtent cher, ce serait que toute association, qu’elle fasse de la musique, de la vidéo, de l’écrit, à chaque fois qu’elle diffuse quelque chose, que ce soit dans un squatt, dans un café ou un autre lieu, reçoive une subvention » automatique « , c’est-à-dire sans le jugement d’une commission ou le truchement d’un pouvoir quel qu’il soit. Par exemple, toute personne morale qui, à Gonesse, diffuserait quelque chose, serait aidée de façon automatique par la mairie. Quand je dis » automatique « , encore une fois, cela veut dire sans commission. Licencier le personnel de ces centres dégagerait des fonds importants pour permettre aux habitants de gérer eux-mêmes cet argent et son emploi. Voilà, pour répondre à ta question.
– Pas d’accord ! Moi, je suis salariée par ce centre socioculturel et je n’ai pas envie de me retrouver au chômage parce que toi, tu proposes de faire autrement ! Je pense plus simplement que, ce matin, la diffusion des reportages, l’intervention de Pierre Merejkowsky, tout cela montre qu’effectivement, il y a une parole, celle des médias, de la télé, des grands réseaux de distribution, et que, parfois, on nous cache la vérité. Certains reportages ne nous sont pas montrés parce qu’ils sont en effet considérés comme un peu trop subversifs, parce qu’ils dénoncent un peu trop. En revanche, si l’on veut vraiment les voir et porter un autre regard, il existe des lieux de diffusion, on en apporte ici les uns et les autres la preuve concrète. Si l’on recherche vraiment la vérité, si l’on veut aller au-delà de ce qu’on nous montre, c’est possible ; des associations portent des projets qui défendent la liberté d’expression, d’autres sont engagées dans des combats précis – SOS racisme et plein d’autres -, ce sont des gens intéressants à rencontrer, avec lesquels on peut discuter pour avoir un autre regard. Alors, heureusement qu’il existe des artistes indépendants, comme Pierre Merejkowsky, qui dénoncent ce qui ne va pas dans la société – peut-être un peu trop ardemment, vous voyez, il veut mettre tout le monde au chômage ! En tout cas, vous, les jeunes qui êtes là, si vous avez un projet, sachez qu’il y a plein d’organismes qui peuvent vous aider à les porter et à vous exprimer dans le cadre d’une association ou de la mairie – mais pas seulement – et sans mettre des gens au chômage !
Un jeune homme – Moi, je trouve très bien ce projet que ce monsieur mène, parce que personne n’est bien informé. Il fait un vrai programme d’information, tant mieux. Ce qu’on voit en général à la télé, c’est ce qu’on veut que les téléspectateurs voient et là, il montre qu’il y a des choses qui existent sans qu’on le sache et que la liberté d’expression, elle n’existe pas vraiment. On nous parle de liberté d’expression et quand monsieur veut faire quelque chose pour s’exprimer, on ne lui en donne pas les moyens. Donc, il a raison de parler comme ça. Mais bon, il fait ça tout seul, c’est normal qu’il se fasse écraser. Comme il l’a montré dans le premier film, la société répond à un mode bourgeois, il y a les pauvres et les riches. Les riches montrent ce qu’ils ont envie qu’on sache d’eux, mais les pauvres n’ont pas le droit ni les moyens de s’exprimer. Là, monsieur donne à tout le monde le droit de s’exprimer. C’est dommage qu’on parle de liberté d’expression alors qu’il y a encore des gens qu’on empêche de s’exprimer. Donc, je pose la question : c’est quoi, la liberté d’expression, quand monsieur ne peut pas s’exprimer, justement ?
Une jeune fille – Pourquoi on ne parle de tout ça que maintenant ? Pourquoi la mairie ne vous a-t-elle donné les moyens de faire ce travail que maintenant ?
Pierre Merejkowsky – Je répète qu’il doit être très clair que je n’ai aucun rapport avec la mairie, que je ne veux pas en avoir, que je suis » employé » par l’association Il faut le faire et qu’il est convenu avec elle – c’est tout à l’honneur de cette association – qu’elle ne m’impose d’autre cahier des charges que d’être là à des heures précises, de mon plein gré. Il faut être clair : si des municipalités décident de défendre la liberté d’expression et donc de faire venir des artistes, c’est à leurs risques et périls, dans la mesure où, je le précise, je respecte les lois de la République : je n’ai jamais cassé une seule chaise, ni mis le feu à aucun centre culturel, et toujours répondu à peu près poliment aux personnes qui m’ont parfois agressé (à la différence d’un élu d’ici, c’est-à-dire une personne chargée de la citoyenneté, dont j’ai oublié le nom, qui m’a publiquement demandé de me taire. Elle m’a dit : » Maintenant, taisez-vous, vous n’avez plus la parole « . Je n’ai pas répondu, c’est son problème, de m’avoir agressé de cette façon).
Donc, il faut être cohérent, et je considère que je suis mon seul cahier des charges. Nous n’avons pas de compte à rendre à la société parce que, dans ce cas-là, on joue le jeu d’un art officiel. Et l’art officiel, je vois très bien ce que ça va être. Ça va être de dire : oui, le racisme, c’est très mal, oui, les pauvres ont le droit d’être riches… en bref, cela reviendra à tenir un discours complètement formaté, dans lequel il n’y a plus d’utopie, plus de rêve. Moi, je dis avec une certaine véhémence : qui défend le rêve ? les partis fascistes et d’extrême droite, avec des propos bidons ! SOS Racisme, tous ces groupes inféodés au pouvoir, toutes ces organisations officielles jouent le jeu de la société. Elles disent effectivement qu’elles vont aller dans les banlieues expliquer aux gens ce qu’ils doivent penser. Dans ce cas, je leur suggère un autre mot d’ordre, qui a au moins le mérite d’être clair : désormais, il n’y a plus de visa pour entrer en France, la France est un pays ouvert, le droit d’asile y est valable pour tout le monde et on n’y pratique plus les expulsions d’étrangers ! Tant que ces groupes ne diront pas ça, pour moi, ils restent – n’ayons pas peur des mots – des gestionnaires de la répression. Je ne veux pas me retrouver sur ce champ-là et donc, je le dis sincèrement, je ne crois pas que les artistes doivent être les artistes officiels d’un art officiel, d’un art convenu, parce qu’alors, il n’y a plus d’utopie. Partant de là, c’est donc aux municipalités d’assumer le fait d’inviter des gens comme moi.
J’ouvre une dernière parenthèse. À cette table ronde, j’ai invité des personnes à venir parler, mon rôle se bornait à cela. Mais elles auraient très bien pu ne pas venir, cela aurait pu se passer. Encore une fois, je prends des engagements sur ce que je fais, mais ne crois pas qu’on doive être tout le temps dans l’idée d’un résultat et d’aboutir à des choses, de rester dans un système de production et d’efficacité qui n’aboutit à rien, à rien d’autre qu’à produire 4 millions de gens largués – et encore, j’exclus de ce chiffre les ivrognes ou les cadres qui se flinguent en voiture tous les dimanches et qui font alors que, oui, on se fabrique une société de misère, misérable aussi bien pour les riches que pour les pauvres. J’espère avoir répondu à votre question. Si ce n’est pas très clair, je m’en excuse par avance.