VERONIQUE PATTEGAY
Installation: De la croix à la bannière

 

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Intervention de Véronique Pattegay devant une classe
de terminale du lycée Jean-Jacques-Rousseau à Sarcelles,
le 3 mai 2001 suite à l’installation.

Philippe Touchet, professeur de philosophie – Une œuvre d’art est-elle gouvernée par le désir ?

Véronique Pattegay – Le désir et l’art entretiennent sans doute un rapport privilégié, mais l’artiste est-il mieux placé qu’un autre pour parler de son œuvre ? Parler des idées, des concepts qui me viennent de la sociologie, de la philosophie, de la psychanalyse, et qui constituent au fil des années la matière première – mais pas primordiale – de mes constructions plastiques serait une possibilité. Les concepts philosophiques ne servent pas exclusivement à faire de la philosophie ! Mais est-ce bien par ce biais qu’il serait efficace de parler du désir, sinon du désir de jouir, d’un certain savoir qui donne un pouvoir certain ?

Je voudrais tout d’abord commenter le cadre dans lequel je vous présente cette installation. Notre dispositif  » Atelier itinérant d’art content-forain  » cherche à promouvoir une réflexion à partir de l’art. En présentant cette construction, je vous pose la question à vous : ceci est-il une œuvre d’art ? question qui ne se poserait pas dans un musée ou dans un centre d’art contemporain sous cet angle-là. En venant la poser ici, on provoque quelque chose de l’ordre d’un dérèglement. Cette œuvre est soudain  » prise  » dans un rapport direct de production : il y a d’abord votre présence et la perspective du baccalauréat qui met un horizon à notre rencontre ; il y a ensuite la demande de Philippe Touchet qui, lui, est un pédagogue dans l’institution, et qui profite de notre intervention pour introduire une question dans un champ déterminé (le désir, l’art) ; il y a enfin les murs et l’espace de votre salle en  » préfa  » pour défaire un peu de nos habitudes, de nos représentations à chacun, à vous élèves comme à nous artistes. C’est le sens que je donne de cette installation. La question du désir est donc  » prise  » ici dans des discours différents, dans des attentes différentes, avec des compétences marquées par nos statuts respectifs.
À l’origine de ce travail élaboré avec l’association, à l’origine des productions d’artistes partenaires, des contributions de spécialistes de diverses disciplines, des débats contradictoires de cet atelier itinérant, oui, on trouve bien du désir. Mais quel désir ? Un désir appréhensible par quelles pratiques ou quelles théories ? Car si dans la philosophie l’inconscient n’est pas au travail, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’inconscient.

Pour ne pas me dérober à cette très vaste question et pour dire quelque chose de dynamique sur le sujet, je soulignerais d’abord que la pratique artistique fraie une voie d’accès vers l’insaisissable du désir, en favorisant quelquefois l’incommode, voire l’incompréhensible d’une production artistique mutante plutôt que la reconnaissance instituée des objets culturels de consommation. Je rapprocherais volontiers sur ce point notre travail artistique de celui des psychanalystes, qui mettent en jeu dans l’expérience analysante à la fois le désir de l’analyste et la psychanalyse elle-même qui éclaire les rapports que les sujets entretiennent avec la jouissance dans notre société. Cela peut donner une idée des enjeux considérables de questionnement du monde que l’on peut mettre en branle à partir de la psychanalyse tout comme d’une pratique artistique singulière.

Car un artiste peut se trouver en position particulière de donner à voir quelque chose à travers sa production. Il y a déjà une part de mise en scène dans le dispositif artistique (une forme, un objet, une installation), des règles définies par les conditions idéologiques d’une époque, auxquelles s’ajoute le  » phrasé  » inhérent à chacun des artistes, voilà autant de conditions déterminant la production. Mais lire l’œuvre d’un artiste avec l’entrée de son symptôme, pour parler avec les mots de la psychanalyse, permet sans doute de souligner ce cas particulier où le désir commande à la production à la différence de la production d’objets de consommation dans le système libéral – la production commande au désir, il faut consommer. Une telle production et une telle lecture des œuvres d’art fait exister un questionnement original. C’est une respiration nécessaire, en somme.

Comme vous l’avez remarqué, les œuvres présentées dans ce lycée Jean-Jacques-Rousseau, celles d’Alfonso Vallès et ses miroirs renversés, les films de Pierre Merejkowsky, qui ont fait tellement réagir l’an passé, ne se présentent pas comme des objets prêts à consommer. Il y a chez certains artistes le désir de s’aventurer sur du neuf, sur de l’inconnu, de faire du jamais vu. Chez les grands fous ( l’auteur qui a donné son nom à votre lycée était psychotique), il y a des créations dans le sens où l’œuvre ne se déduit pas de celles qui ont précédé, et de même que les grands fous créent un délire à partir de leur structure, un artiste peut créer quelque chose qui n’a de nom dans aucune langue et qui est pourtant bien réel pour lui… Je ne dis pas qu’il faut être fou pour être artiste.
De mon côté, loin d’avoir la prétention de vous parler de mes fantasmes ou de la pulsion qui me pousse à travailler, je me contenterais de vous dire comment j’ai procédé.

Il s’agit d’un travail intitulé L’Origine de l’inconscient, la baie de la Somme et qui renvoie à une installation produite dans le lycée Fragonard de l’Isle-Adam, intitulée Des femmes d’Alger dans leur appartement aux hommes de l’Isle-Adam dans l’atelier du peintre. J’ai scanné L’Origine du monde, de Courbet, ce tableau qui, comme vous le savez peut-être, a été la propriété du psychanalyste Jacques Lacan. Cette toile, qui avait fait scandale en son temps (1866), Lacan l’aurait recouverte d’une autre toile de Masson. L’Origine du monde se trouve aujourd’hui au musée d’Orsay. J’imprime cette Origine du monde sur un rhodoïd transparent et je le rétroprojette sur un grand tas de cailloux percés mélangés à des cartouches de chevrotines trouvées ensemble à la pointe du Hourdel, dans la baie de la Somme. C’est un lieu de mon enfance, une bande de terre s’y enfonce dans la mer. J’ai posé comme point de départ à cette installation une trace de mon expérience de peintre qui servira de décor (un fragment d’une toile de 13 mètres de long qui appartient à une série intitulée Analyse moyenne pour 100 grammes, 1993). Ce cœur vert et bleu, violemment triste, c’est du désir pas très gai. Que le rapport entre les hommes et les femmes n’est – naît –  » pas très gai « , pour moi, est devenu une certitude.

veroproj veromer verocail verobal hourdel

 

 

 

 Artistes et Intervenants à l’Isle-Adam :
Sylvia Commandeur – Vicky Estevez – Hubert Hochwarter – Pierre Merejkowsky – Véronique Pattegay – Alfonso Vallès – P. Merejkowsky et véronique Pattegay

Artistes et Intervenants à Sarcelles :
Pierre Merejkowsky – Véronique Pattegay – Colette Soler – Alfonso Vallès